La plupart des économistes considèrent la transformation structurelle comme l’une des principales voies du développement durable de l’Afrique. Cela signifie changer la part de l’agriculture, de la fabrication et des services dans une économie. C’est un objectif central de l’Agenda 2063 de l’Union africaine.
Dans cette optique, les économistes et les décideurs doivent savoir ce qui détermine la transformation structurelle. Ils ont mis en évidence des facteurs tels que la demande de biens et de services, les politiques commerciales, le développement financier, la qualité institutionnelle et l’intégration économique.
Mais les chercheurs n’ont pas examiné de près la manière dont l’ intégration économique par le biais du commerce et de la finance influence la transformation structurelle.
J’ai donc entrepris d’ étudier l’intégration des pays africains avec le reste du monde et l’effet de cette intégration sur leur transformation structurelle. Cette étude fournit de nouvelles preuves sur la question de savoir si l’intégration est bonne pour l’Afrique. Il découvre également les bons niveaux d’intégration nécessaires pour accroître la transformation structurelle.
L’intégration commerciale et financière concerne à la fois les pays qui exportent et importent les uns des autres. Les deux sont souvent appelés intégration économique. L’ouverture des frontières nationales au commerce présente un certain nombre d’avantages potentiels qui peuvent favoriser le développement.
Par exemple, cela crée un avantage comparatif, un accès à des financements externes et des opportunités de partage des risques. Il permet également le transfert de technologie. Les entreprises locales au service de grandes entreprises étrangères et nationales peuvent acquérir des connaissances et des compétences et les transférer au reste de l’économie.
Tous ces avantages sont essentiels à la transformation structurelle. Mais une ouverture et une intégration excessives peuvent également avoir un coût, principalement en raison de distorsions autour de la politique commerciale. Par exemple, si certaines industries locales ont été protégées, les entreprises locales peuvent ne pas être suffisamment en forme pour concurrencer leurs homologues étrangères. Ouvrir ces industries à la concurrence peut leur nuire.
Équilibrer les avantages potentiels et les dangers de l’intégration est une question politique urgente maintenant que les pays africains ont signé l’accord sur la zone de libre-échange continentale africaine, qui vise à favoriser l’intégration.
Les décideurs doivent savoir s’il existe un niveau idéal d’intégration commerciale et financière qui modifiera les économies de la manière souhaitée.
L’étude: résultats et implications
Dans ce contexte, j’ai examiné les effets de l’intégration économique sur la transformation structurelle dans 32 pays africains de 1985 à 2015. La période et le choix des pays étaient basés sur la disponibilité des données.
J’ai créé un indice de transformation structurelle qui intègre les changements de valeur ajoutée sectorielle et les caractéristiques démographiques. L’indice est compris entre 0 (transformation faible) et 1 (transformation élevée). J’ai trouvé que la transformation structurelle sur le continent était faible, avec une valeur moyenne de 0,419, mais variait d’un pays à l’autre.
La majorité des indices des pays étaient inférieurs, ce qui suggère que la transformation structurelle ne fait que commencer.
J’ai également constaté que les pays africains étaient moins intégrés en termes de commerce et de financement que les autres économies en développement.
J’ai mesuré l’intégration commerciale comme le rapport des importations et des exportations des pays au PIB. Cela montre le degré d’ouverture. J’ai constaté que le niveau optimal d’intégration commerciale était de 73,29% du PIB. J’entends par là le niveau d’intégration commerciale qui produit un effet amélioré sur la transformation structurelle.
Les données suggèrent que l’intégration commerciale encourage la réaffectation des ressources vers des secteurs plus productifs.
Pour mesurer l’intégration financière, j’ai utilisé le ratio du total des passifs et actifs extérieurs des pays au PIB. Cela montre le degré de restriction des flux de capitaux. Le niveau optimal d’intégration financière était de 137,5% du PIB. Dix pays africains étaient au-dessus de ces niveaux et 22 étaient en dessous.
Les 10 pays qui dépassent ce seuil d’intégration financière sont le Botswana, la République du Congo, la Côte d’Ivoire, la Gambie, la Guinée Bissau, la Mauritanie, Maurice, les Seychelles, le Soudan et le Togo. De même, les 10 pays au-dessus du seuil d’intégration commerciale sont le Botswana, la République du Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Mauritanie, Maurice, les Seychelles, l’Eswatini (anciennement Swaziland), le Togo et la Tunisie.
J’ai observé que la transformation structurelle augmente davantage dans les pays qui sont en dessous de ces niveaux d’intégration par rapport aux pays qui sont au-dessus des seuils. L’intégration augmente la transformation structurelle, mais trop d’intégration ralentit ce processus, produisant des effets indésirables.
L‘effet positif de l’intégration sur la transformation se traduit par une efficacité accrue, un avantage comparatif, un financement externe et une diversification des risques. Les pays peuvent avoir ces caractéristiques même s’ils sont moins intégrés et fonctionnent en dessous des seuils. Les avantages de l’intégration proviennent de l’efficacité de l’intégration plutôt que de l’intégration débridée.
Une implication clé est que l’efficacité de l’intégration commerciale et financière est essentielle pour conduire la transformation structurelle en Afrique. Cela explique le besoin urgent pour les pays africains d’approfondir simultanément l’intégration commerciale et financière. Les économies qui se lancent dans une intégration économique dans les deux sens peuvent s’attendre à une transformation améliorée pour le développement durable.
Le rôle de la zone de libre-échange
L’étude montre que l’Afrique a des opportunités de s’intégrer davantage. La zone de libre-échange africaine a le potentiel de défragmenter le continent et d’intégrer ses économies dans l’économie mondiale.
La zone de libre-échange vise à éliminer progressivement les barrières tarifaires et non tarifaires au commerce des marchandises et à libéraliser le commerce des services. Il établira un marché continental unique pour les biens et services: un marché plus grand et plus compétitif.
Une zone de libre-échange plus étendue stimulera non seulement le commerce intra-régional, mais accélérera également le développement des chaînes d’approvisionnement régionales. Celles-ci ont entraîné une transformation structurelle dans d’autres régions, par exemple en Asie. Il est également nécessaire que la politique aborde les obstacles non tarifaires au commerce. Parmi ceux-ci, il y a une logistique et une infrastructure médiocres (comme les routes, le rail, les ports, l’électricité et la connectivité numérique).
Les pays devraient se concentrer sur l’élimination de ces goulots d’étranglement. L’Union africaine, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique et la Banque africaine de développement devraient mettre en œuvre la zone de libre-échange le plus rapidement possible.
Tribune rédigée par Muazu Ibrahim,Maître de conférences, Département des banques et des finances, Université des études du développement, Article source : Why the African free trade area could be the game-changer for the continent’s economies