La demande de retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger présente une opportunité cruciale pour améliorer le fonctionnement du bloc régional.
Le 8 février, le Conseil de médiation et de sécurité de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) tiendra une session extraordinaire à Abuja. La réunion au niveau ministériel discutera des questions politiques et sécuritaires, notamment du retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de l’organisation.
Cela fait suite à l’annonce, le 28 janvier, par les chefs militaires des trois pays, que ces pays quitteraient immédiatement la CEDEAO – le bloc régional fondé en 1975 pour promouvoir l’intégration économique. Les trois pays représentent 15% de la population de la CEDEAO, soit près de la moitié de sa superficie, et disposent d’un potentiel économique considérable.
Les griefs des trois gouvernements contre la CEDEAO sont doubles. Premièrement, ils estiment que les sanctions économiques et financières du bloc contre le Mali puis le Niger, à la suite des coups d’État militaires dans ces États, sont « illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables, en violation de ses propres règles ». Ils affirment également que les sanctions ont été imposées à l’instigation de « puissances étrangères ».
Deuxièmement, les dirigeants affirment que la CEDEAO a refusé de soutenir leur lutte contre le terrorisme et l’insécurité.
Les relations se sont dégradées depuis les coups d’État au Mali (2020 et 2021), au Burkina Faso (2022) et au Niger (2023), qui ont abouti à leurs suspensions de la CEDEAO. La création de l’Alliance des États du Sahel en septembre 2023 a encore fragmenté le bloc régional. L’alliance – un mécanisme de sécurité collective mis en place en réponse à la menace d’ intervention militaire de la CEDEAO au Niger après le coup d’État – a signalé l’intention des groupes de rechercher une distance politique et une autonomie par rapport au bloc.
La CEDEAO a été confrontée à des défis majeurs au cours de la dernière décennie pour lutter efficacement contre l’extrémisme violent et les problèmes de gouvernance dans ses États membres. La perception de deux poids, deux mesures – dans laquelle le bloc réprime les coups d’État militaires mais ferme les yeux sur les « coups d’État institutionnels » perpétrés par des gouvernements élus comme en Côte d’Ivoire et en Guinée – a miné la crédibilité de la CEDEAO dans la région.
La situation actuelle présente une opportunité importante pour la CEDEAO de revoir ses cadres, politiques et pratiques afin de rendre l’organisation plus cohérente et efficace. Cette approche pourrait créer les conditions du retour des trois pays dans le bloc régional et empêcher de nouvelles existences.
Sur le plan politique, les retraits peuvent s’expliquer par deux facteurs, qui pourraient tous deux entrer en jeu. Il pourrait s’agir d’une stratégie visant à contourner les exigences de la CEDEAO concernant des transitions courtes et à empêcher les putschistes de ne pas se présenter aux élections présidentielles. Ou encore, ils pourraient être un moyen de faire pression sur l’organisation pour qu’elle négocie une solution qui verrait les trois juntes rester au sein de la CEDEAO en échange de positions plus flexibles et de la levée des sanctions au Niger.
Leur départ affecterait négativement à la fois le bloc régional et les citoyens des pays sortants. L’Afrique de l’Ouest reste l’un des exemples les plus réussis d’intégration et de coopération économique, politique et sécuritaire.
La libre circulation des personnes dans toute la région, garantie par le système d’exemption de visa et un passeport commun, est l’une des principales réalisations de la CEDEAO au bénéfice des citoyens de la région. Pour les pays enclavés comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger en particulier, l’union douanière facilite les importations grâce à l’application d’un tarif extérieur commun unique.
Depuis près de 50 ans, les règles et modes de fonctionnement de la CEDEAO façonnent la gouvernance de ses États membres. Concernant la libre circulation des personnes et des marchandises, ainsi que l’accès aux ports côtiers, le retrait n’affectera pas pour l’instant les relations entre les trois pays et les autres États de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), dont le traité garantit également ces des principes. Toutefois, des mesures d’atténuation bilatérales ou multilatérales devraient être convenues avec les États non membres de l’UEMOA.
Les modalités de ce retrait sont irrégulières, considérant qu’un départ immédiat est matériellement impossible à mettre en œuvre et n’est pas conforme au traité régissant la CEDEAO . L’article 91 précise que le retrait prend effet un an après sa notification formelle.
Le seul précédent est la sortie de la Mauritanie en décembre 2000, après que le pays a donné un préavis en décembre 1999. Pendant la période de préavis, les États demandant à quitter le bloc doivent respecter leurs engagements envers le bloc.
La décision de retrait, qui affectera considérablement les Sahéliens, ne semble pas avoir fait l’objet de consultations nationales préalables . Les citoyens ont soutenu les coups d’État au Sahel central parce qu’ils voulaient que la gouvernance s’améliore – et non pas pour que les nouveaux dirigeants aient carte blanche.
Cela remet en question la légitimité de la décision des trois juntes de quitter la CEDEAO. Au Mali par exemple, la coalition des organisations de l’Appel du 20 février 2023 pour Sauver le Mali s’est opposée au retrait.
Ce manque de consultation populaire pourrait déstabiliser davantage des transitions déjà fragiles. Le Niger a du mal à entamer formellement sa transition, et le Mali et le Burkina Faso approchent de la fin de leur mandat convenu par la CEDEAO. Les élections présidentielles prévues en mars et juillet 2024 au Mali et au Burkina Faso ont été reportées sine die.
Pendant ce temps, la CEDEAO se trouve dans une grave crise. Le protocole de l’organisation sur la démocratie et la bonne gouvernance continuera de s’appliquer aux États sortants jusqu’au 29 janvier 2025. Cependant, le bloc devra choisir entre insister sur le fait que les trois juntes respectent leurs délais pour le retour du pouvoir à un régime civil, ou reculer pour empêcher les empêcher de partir.
Le choix est d’autant plus difficile que ces retraits pourraient être le prélude à une éventuelle sortie de l’UEMOA. Cette évolution serait encore plus dommageable pour les trois pays et le reste de l’union.
La crise met en évidence la nécessité pour la CEDEAO de revoir et d’améliorer ses mécanismes de traitement des violations de la gouvernance démocratique dans ses États membres. Le recours à des sanctions aveugles contre le Mali en 2022 et le Niger depuis juillet 2023 – qui est juridiquement contesté et touche principalement des civils – doit également être reconsidéré au vu de son inefficacité. Des sanctions plus claires, ciblées et plus prévisibles seraient préférables.
L’appel de la CEDEAO à une solution négociée a été soutenu par la Commission de l’Union africaine. S’il n’est pas possible de maintenir les trois États au sein du bloc après la période de préavis d’un an, toutes les parties doivent œuvrer à une sortie appropriée qui minimise l’instabilité régionale.
Les discussions doivent inclure une dimension sécuritaire qui établit des mécanismes régionaux appropriés de coopération et de coordination basés sur les leçons de la dernière décennie d’intervention internationale au Sahel. Ces mécanismes devraient en particulier accorder une attention particulière à la connectivité et à l’interdépendance des zones transfrontalières.
Enfin, compte tenu de l’intense concurrence entre grandes puissances à l’échelle mondiale et du changement d’alliance des États du Sahel central vers la Russie depuis 2020, la CEDEAO et les trois pays qui s’en vont doivent reconnaître le danger que ces dynamiques représentent pour la région. Des efforts collectifs sont essentiels pour résoudre les profonds défis de développement et de sécurité partagés par tous les pays de la région.
Article source : Proposed ECOWAS exits leave West Africa at a crossroads