650 migrants. Une tragédie humaine réduite tristement à un nombre. Une focale trop étroite de la part de l’Europe pour saisir véritablement ce défi humain qui s’impose à elle sans précédent dans son histoire.
C’est terrible de voir que la classe politique dans son ensemble n’a toujours pas pris la mesure, plus exactement la démesure, de ce phénomène appelé à s’amplifier de façon irrémédiable et exponentielle au cours du prochain siècle. C’est un fait et les faits sont têtus.
Les vagues déferlantes vont se succéder. Par déferlante il faut comprendre non pas des bateaux de 600 personnes mais des centaines d’embarcations avec à son bord des milliers individus à la fois.
Deux faits implacables nourrissent ces flux humains.
Le premier est d’ordre démographique. Pour ne pas dire mathématique. Selon les projections de l’ONU, la population africaine va passer de 1,3 milliard aujourd’hui à 2,4 milliards en 2050 et plus de 4 milliards à la fin du siècle. Bref, c’est vain de (faire) croire que l’Europe peut inverser le cours de l’histoire démographique. C’est nager à contre courant avec le risque de se noyer.
Le deuxième est lié sans conteste aux effets du changement climatique déjà à l’oeuvre dans certaines parties de l’Afrique. Effets qui contraignent des milliers de personnes à se déplacer. Un effet papillon qui bien sûr affecte le monde en général et l’Europe en particulier en tant que voisine géographique.
La mondialisation n’est pas seulement économique mais sociale. D’essence humaine avant tout. Une tragédie qui a lieu quelque part sur notre planète entraîne désormais des conséquences inéluctablement et incalculables ailleurs.
Un monde interdépendant. Des règles que les libéraux acceptent et nous vendent comme des avantages quand il s’agit d’économie. Mais curieusement une interdépendance moins acceptée quand c’est l’être humain qui se retrouve au cœur de cette tendance irréversible.
La recette miracle qu’on entend en Europe serait d’aider l’Afrique. La fausse bonne idée.
On est frappé par le fait que la pensée en Europe s’est figée il y a trente ans. Une vision et une approche rétrogrades pour ne pas dire anachroniques.
Quand l’Europe parle ainsi, on la soupçonne – malgré nous- d’une condescendance dont elle ne se débarrasse pas. La preuve qu’elle n’a pas compris grand chose à ce qui se passe en Afrique. Notamment ce changement radical de mentalité avec l’avènement d’une nouvelle génération entrée de plain pied dans ce monde moderne,entreprenante, innovante et portée par de nouveaux dirigeants pragmatiques, désireux de bâtir une Afrique puissante, indépendante, qui ait voix au chapitre du concert des Nations sur un pied d’égalité et intégrée à la mondialisation.
Quand l’Europe parle d’aide, l’idée s’arrête à celle d’un flux financier. Or les Africains ne veulent plus de cette dépendance souvent plus subie que voulue. Ils ont de plus grandes ambitions. En particulier de s’affranchir de cette tutelle gênante et handicapante, pour ne pas dire aliénante parfois, pour prendre leur destin en mains avec la création de leur propres fleurons économiques et favoriser l’émergence de leur propre technologie adaptée à leur contexte à travers leurs startups et la constitution d’écosystèmes.
Cessons aussi d’être hypocrites. Nombre d’entreprises européennes ou occidentales voient d’un mauvais œil, inutile de dire à tort, ces nouvelles ambitions entrepreneuriales de l’Afrique. L’Afrique une rivale? Surtout pas! Pourtant tout est fait parfois pour empêcher ou retarder ce développement pourtant rebattu, tel un mantra, par nos leaders comme la clé de la solution.
Ah si l’Afrique pouvait rester ce continent réservoir de mains d’oeuvre à bas prix et l’usine du monde!
En plus d’être cynique, c’est un mauvais calcul qui entretient la pauvreté et, donc, par ricochet nourrit ces vagues migratoires. Quand l’Europe délaissera cette hypocrisie au profit d’une approche plus réaliste et moins égoïste, elle aura certainement fait un grand pas vers la résolution de cette crise.
Quand l’Occident comprendra-t-il définitivement que le progrès social et le développement économique sur un pied d’égalité, sont les meilleures assurance contre cette migration massive et incontrôlée?
Il n’y a aucun doute que les Africains aujourd’hui ont une approche plus moderne des défis nouveaux issus de la mondialisation que la plupart des leaders Européens. Ces derniers, par leur façon de raisonner, démontrent clairement que ce sont eux qui ne sont pas encore entrés dans l’histoire mondiale contemporaine.
L’Europe ne peut souffrir de recevoir des leçons de l’Afrique. Un vieux réflexe atavique qui la condamne. Car l’axe du monde change. Et l’Europe aurait tout intérêt à s’incliner, autrement dit à mieux écouter ses interlocuteurs pour éviter un avenir incertain, mineur sur la scène internationale, et, pire, de plus en plus informulé, pour ne pas dire très troublé, à voir ces désaccords majeurs croissants parmi ses États membres.
Article rédigé par Stéphane Rossard, le 15 juin 2018